Photos Michel Lefrancq
Photographe surréaliste (1916-1974)
1890 - 1930
L'ancêtre des diapositives

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Données techniques
Matériel d'occasion








Musée Duesberg Mons
Jacques Du Broeucq
1505 - 1584










Textes sur les grands photographes présentés au club

 

Heinz Hajek-Halke

 

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Le PDF de 6 pages contient du texte supplémentaire sur la biographie, le nu, les Lichtgrafik et la Subjektive Fotografie.

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Biographie

Autoportrait, 1928Heinz Hajek-Halke est né le 1er décembre 1898 à Berlin. Il est le fils illégitime de Paul Halke, peintre et caricaturiste pour la revue Ulk, et de Rosa Hajek, Juive originaire de Decin (Tetschen-Bodenbach à l'époque) en Tchécoslovaquie. Son père ne le reconnaîtra qu'un an plus tard.

Ses parents se séparent assez rapidement, à l'amiable semble-t-il, car il s'avère qu'ils ont des caractères incompatibles. En 1901, sa mère l'emmène à Buenos-Aires avec son amant, qu'elle épousera dès que le divorce sera prononcé, et il passera 10 années en Argentine dont il gardera toujours la nostalgie. En 1910 son beau-père fait de mauvaises affaires, et la famille rentre en Allemagne. Ses parents avaient toujours regretté l'Allemagne, lui regrettera toujours l'Argentine. Son père, Halke, lui apprend le dessin et la peinture avant même qu'il ne soit inscrit dans une école artistique. C'était un excellent professeur, dira-t-il, quoique artistiquement réactionnaire, qui qualifiait les peintures d'une exposition de Die Brücke de « saletés ». En 1915 et 1916, il fait des études artistiques à la Köninglichen Kunstschule de Berlin. Sa scolarité en Allemagne a été chaotique, il a fréquenté en tout douze écoles suite à de nombreux renvois, et notamment l'école privée Penne Lehmann où ses principaux condisciples sont juifs. C'est un environnement particulièrement riche sur le plan intellectuel, et avec ses camarades juifs, il formait un équipe soudée ; son allemand est toujours resté entremêlé de yiddish et d'espagnol. De retour d'un deuxième séjour en Argentine, en 1916, il est appelé à l'armée et se retrouve dans une caserne à Königsberg (actuellement Kaliningrad) comme canonnier. Les manoeuvres incessantes et la discipline absurde de l'armée lui sont insupportables et, pour y échapper, il se porte volontaire pour combattre sur le front ouest. Il en réchappera heureusement, sans blessures ni séquelles psychologiques contrairement à tant d'autres.

En 1918, après avoir combattu dans la région d'Ypres, au Chemin des Dames puis en Alsace, il est élu à un Conseil de Soldats (Soldatenrat) lors de la révolution de novembre. Il a déjà publié de nombreux dessins faits sur le front dans les journaux de l'armée.

C'est une période de grands troubles, de révolte ouvrière et dans l'armée menée principalement par la Ligue Spartakiste qui est opposée à la guerre. Certains régiments se sont soulevés et la troupe a pris le pouvoir. Hajek-Halke vend les chevaux de son unité, établit des documents de permission pour tout ses membres et pour lui-même et rentre à Berlin avec armes et bagages. Il est subjugué par les discours de Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht et se situe à l'extrême gauche. Il a des contacts suivis avec le Rat geistiger Arbeiter (Conseil des travailleurs intellectuels) au Reichstag, composé essentiellement de communistes ou d'anciens délégués des Soldatenrat. De caractère déjà rebelle dans son adolescence, ses expériences militaires l'ont rendu totalement réfractaire à toute forme d'autorité et il se considère comme un anarchiste. Il s'éloignera assez vite de toute activité politique.

Après les luttes spartakistes, la fuite de Guillaume II et l'instauration de la république, il assiste aux cours du professeur Emil Orlik aux Berliner Kunstgewerbe Museums, mais il le trouve trop conventionnel et rejoint alors l'atelier du professeur Hans Baluschek qui est un peintre plus progressiste.

[...]

En 1927-1928 il travaille avec Marta Astfalck-Vietz, une autre photographe d'avant-garde qu'il avait rencontrée à la Kunstgewerbeschule, au développement de Combi-Photographien dans lesquelles il assemble du texte, des éléments graphiques et de la photo. Il fait la connaissance de Bruno Schulz qui publie certaines de ses photos dans sa revue annuelle Das Deutsche Lichtbild, considérée à cette époque comme le Gotha de la photographie allemande. Il réalise ses premières photos publicitaires avec des techniques expérimentales.

En 1929, il part avec le peintre de la Sécession hambourgeoise Otto Tetjus Tügel, qui a également vécu à Worpswede, pour une randonnée de 6.000 km de Berlin à Haparanda, dans le nord de la Suède. Ce très long voyage de 9 mois, qu'il finance en cours de route en travaillant dans des fermes, et une fois sur un chantier du télégraphe, est peut-être entrepris dans le but de rompre définitivement avec la cocaïne qu'il a consommée régulièrement pendanLa chanson d'Eve, 1928t un an et demi. « C'était tout au début, dira-t-il plus tard, quand j'étais sans travail, peu après l'inflation, où personne n'avait d'argent et où il fallait bien vivre de quelque chose. Je ne faisais pas que consommer, j'en vivais, et avec le temps je me suis fait toute une clientèle... La came je la dégottais dans les caves à coke, dans la Wesselsstrasse... Paul Marcus Penn avait lui aussi un faible pour ce genre de lieux et nous les avons écumés ensemble. Nous y avons fait connaissance des patrons de clubs de lutte et ils n'étaient pas si mécontents de rencontrer des gens de la presse : ils avaient besoin de photos eux aussi. J'ai alors pu faire mes photos. Ils vous disaient : ça, vous pouvez le publier, il n'y a personne dessus qui soit recherché,... après on laissait tomber les plaques. Mais j'ai fini par prendre mes distances avec ce milieu. » Il participe cette année-là à l'importante exposition Film und Foto de Stuttgart qui est une manifestation d'ampleur internationale d'un nouveau courant dans la photographie, la Nouvelle Vision, aux côtés d'artistes qui marqueront également l'histoire de la photographie comme Germaine Krull, Edward Weston, Alexander Rodtchenko, Berenice Abbott, Man Ray, André Kertesz et Georges Hoyningen-Huene ou Paul Outerbridge.

En 1930 il épouse l'actrice Katharina Prenzberger (Kitty Berger), dont il divorcera en 1935, et travaille intensément jusqu'en 1932 sur les possibilités artistiques de la photo de nu, très souvent avec son épouse comme modèle. Il travaille également comme photographe publicitaire, maquettiste et illustrateur.

Il reçoit la médaille d'or lors de l'Exposition de Photographie fasciste à Rome en 1933, pour une photo de nu, et la même année, le Ministère de la Propagande lui demande de réaliser des affiches pour le NSDAP (parti nazi, Hitler a été nommé Chancelier le 30 janvier) et de dénaturer des portraits de politiciens communistes et de la gauche radicale. Il est censé produire des visages effrayants. Refuser la commande étant trop dangereux, il parvient à l'esquiver et se montre de plus en plus discret puis, pour ne pas avoir à coopérer avec les nazis, il s'enfuit et va s'installer le plus loin possible de Berlin, à Kressbronn-am-Bodensee (lac de Constance, côté allemand) sous le nom de Heinz Halke. Il tente la Reichsflucht (expression de l'époque qui signifie «désertion du Reich»), mais est interpellé avant d'avoir pu réussir, heureusement assez loin de la frontière suisse pour pouvoir trouver une excuse plausible. Il se consacre dès lors à la photographie d'insectes et de petits animaux pour des revues scientifiques et Das Deutsche La cité de verre, 1950Lichtbild et acquiert assez rapidement une notoriété certaine dans ce domaine, aidé en cela par de bonnes connaissances en sciences naturelles.

En 1936 il voyage au Brésil, où il fait notamment un reportage sur une ferme d'élevage de serpents et étudie la possibilité d'y émigrer. De retour en Allemagne, il se consacrera d'abord à une activité de photo journaliste et photographe commercial, puis est enrôlé dans l'armée comme photographe pour la firme Dornier-Werke, constructeur d'avions et hydravions à Friedrichshafen, non loin de chez lui.

En 1945 il est brièvement prisonnier de guerre des Français à Lindau, sur le Bodensee. Tout son matériel photo lui a été confisqué et il se retrouve sans ressources.

À partir de 1946 il récolte et vend des sangsues à des médecins et des hôpitaux de la région et exploite une ferme d'élevage de vipères dont il vend le venin à des firmes pharmaceutiques.

[...]

Il abandonne l'enseignement en 1967 et, en 1978, il reçoit la Médaille David Octavius Hill de la Deutsche Fotografische Akademie, association de photographes créée en 1919. Il est fait membre d'honneur de la Deutsche Gesellschaft für Photographie la même année.

Il décède à Berlin le 11 mai 1983.

A propos de l'oeuvre

Heinz Hajek-Halke, quoique marié deux fois, n'a pas eu d'enfants, et n'a eu que peu de contacts avec le reste de sa famille, qui n'a guère montré plus d'intérêt pour lui que pour son oeuvre, c'est pourquoi il en fit don par contrat à un ami très proche, le photographe Michael Ruetz qui devint ainsi son seul légataire et détenteur des droits sur l'oeuvre. Son héritage comporte environ 3.000 tirages d'époque, dont un quart d'avant la Seconde Guerre mondiale, et un quart en couleurs qui sont restés dans leurs conditions originales, très tôt entreposés à l'abri de la lumière dans des conditions optimales.

[...]

Le montage est un mode dominant dans les années 20 et correspond à l'esprit technique de l'époque, à la fascination pour la machine de la société et des artistes de l'après Première Guerre mondiale, même après les visions horrifiques de la guerre mécanique. La culture de Weimar, de l'architecture aux produits de consommation, était influencée par la machine. Hajek-Halke s'est inspiré des expériences accumulées par les artistes du Bauhaus dans leurs différents domaines, poussées à leurs limites ultimes avec l'aide des technologies les plus Dornier, années 40avancées de l'époque et un design non conventionnel, et il poursuivra la même démarche en photographie comme en mise en page. L'artiste utilise dès le début les techniques du montage et du collage dans ses travaux de commande pour la presse. Il les perfectionne et en acquiert une maîtrise remarquable, mais son expression est toute personnelle, et à l'opposé de Heartfield, par exemple, il ne la met pas au service d'un discours politique. Les images de Heartfield recherchent le choc de la réalité sublimée tandis que Hajek-Halke accentue le caractère irréel de sa vision, et c'est en cela qu'on peut le rapprocher des surréalistes.

Quoiqu'engagé à gauche dès son retour du front en 1918, il abandonnera très vite les activités politiques tout en restant un opposant aux nazis, mais son oeuvre personnelle n'est pas engagée au sens que l'on peut donner à ce terme actuellement. Elle a quelque chose de surréaliste, en effet, le hasard s'y mêle à l'intuition, la réflexion à l'instinct. Son oeuvre est tout à fait inscrite dans l'époque, parfaitement identifiable à son temps tout en ne voulant pas le décrire. Elle n'est ni documentaire, ni critique, elle est essentiellement poétique. Comme maquettiste à ses débuts dans la presse, il arrive à un moment de grande évolution. Les mises en pages deviennent nettement plus dynamiques, l'apparition (en 1929, également année du cinéma parlant) et la diffusion croissante des Leica avec des films de 36 vues, donnent plus d'importance aux photos qui quittent souvent le simple domaine de l'illustration des articles pour devenir un discours en soi. L'influence du constructivisme et des cinéastes russes, Eisenstein, Pudovkin, Dziga Vertov surtout, est très sensible dans l'esthétique de cette époque. L'apparent hasard de l'apparition simultanée du cinéma parlant et des mises en page dynamiques est assez frappant. Quoique ces deux techniques auraient dû mener à plus de réalisme pour ces médias, elles servirent plutôt à une plus grande fictionalisation, à une vision fantasmée de la réalité. Lorsqu'on lui demandera beaucoup plus tard quelles ont été ses influences en photographie, Hajek-Halke dira que le cinéma à été son modèle, son école, et en effet, on peut sans aucun doute rapprocher certaines de ses photos des images à expositions multiples du cinéaste Dziga Vertov dans son chef d'oeuvre L'homme à la caméra (1929). Il sera d'ailleurs brièvement photographe pour le cinéma, et utilisera les procédés de trucage du cinéma dans son travail, notamment les expositions multiples de sujets devant un fond noir. La capacité du cinéma à amalgamer le proche et le lointain en une seule séquence lui a permis d'aboutir à un langage formel plus dynamique qu'il n'était possible avec les règles traditionnelles de la composition dans la mise en page.

[...]

L'arrivée des nazis au pouvoir en 1933 marque une première rupture dans son oeuvre. Il doit rapidement se montrer discret (il a épousé une juive, sa mère et son beau-père sont juifs) et il se cantonne dans des activités commerciales, tout en continuant d'utiliser sa maîtrise du montage pour réaliser des images de grande qualité aussi bien pour la publicité que lorsque qu'il devra travailler à la propagande militaire pour Dornier Werke pendant la guerre.

Après la guerre, il reprend ses recherches en photographie expérimentale pour la presse et la publicité et son oeuvre personnelle, principalement avec les Lichtgrafiken, qu'il réalise par intervention directe sur des négatifs de moyen ou grand format, marque une seconde rupture, avec une expression radicalement plus moderne, un langage définitivement éloigné du discours descriptif de la photographie traditionnelle. Il s'agit ici d'un art qui est lui-même le sujet de son exploration artistique. Hajek-Halke étudie ici la relation entre la lumière, la forme, et la couleur, et le résultat relie l'information objective à des valeurs esthétiques indépendantes. L'utilisation du procédé photographique lui permet également de combattre la notion d'oeuvre originale et le fétichisme qui s'y attache encore aujourd'hui. Il est bien en cela héritier de la démarche du Bauhaus qui proposait des objets créés par des artistes et reproduits en série illimitée par des moyens industriels à destination de l'ensemble de la société. Pour ce faire, il bénéficie comme d'autres du soutien de l'industrie et c'est Agfa qui sera son sponsor pour les tirages grand format en couleurs.

Depuis 1945 l'industrie photographique allemande est sous le contrôle de sociétés étrangères et les brevets sont levés. Agfa, qui fait partie du groupe IG Farben qui sera démantelé, se voit écartelé entre 3 zones d'occupation : à Munich, en zone U.S. se trouve le département appareils photographiques, à Leverkusen, zone britannique, la fabrication des papiers, et à Wolfen, zone soviétique, la fabrication des films. La photographie d'amateurs est en pleine expansion après la guerre, les prix du matériel se démocratisent, et les dirigeants de l'industrie photographique décident alors de soutenir une photographie expérimentale nationale, héritière de la modernité des années 20, afin de relancer la machine et, sans doute aussi, de contrecarrer les influences étrangères et de reprendre la place d'avant-plan qu'elle occupait précédemment.

Lichtgrafik, sans dateA cette époque, les photographes allemands doivent se libérer des habitudes acquises sous la contrainte du régime hitlérien et, quelques-uns, ne voulant pas se complaire dans la description des ruines laissées par la guerre, se donnent dès lors une liberté totale dans la création artistique. Il n'y avait que peu d'options pour un artiste allemand : témoigner des horreurs vécues, ou se tourner résolument vers l'avenir et une nouvelle vision du monde. Celle-ci fut la réponse de Hajek-Halke à Auschwitz et Hiroshima. On peut voir dans les Lichtgrafiken l'expression à la fois de son background culturel, de ses expériences antérieures, et de sa volonté de les dépasser comme du rejet de l'enthousiasme consumériste des années 50 et 60.

On peut évidemment se poser la question de la nature de ces oeuvres : photographie ou « peinture » ?

Je répondrai : à la fois l'une et l'autre – ce qui correspond bien à la personnalité de leur auteur.

Présenté au Photo-Club le 1er décembre 2011