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La photo de mode ![]() ![]() |
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Quelques points de repère et photographes qui ont marqués le genre, des débuts vers 1850 aux années 70. La photo de mode, sujet des plus futiles en apparence, est, comme toute forme d'expression artistique, révélatrice de l'esprit de son temps. Photos éphémères, à but purement commercial, on pourrait croire au premier regard qu'il ne s'agit que de produits de consommation banals aussi vite oubliés que les revues dans lesquelles on les a découvertes. C'est le plus souvent vrai. La photo de mode ne s'intéresse pas à des sujets réels mais évoque des idéaux, une illusion, un univers merveilleux de toilettes et de femmes sans défauts, mais si l'on y regarde avec un peu de recul, sans tenir compte de sa fonction première, on peut y découvrir bien autre chose : un catalogue miniature de la culture et de la société, de ses aspirations, de ses goûts et de ses interdits. [...} Les prémices Il y eût ensuite de nombreuses revues de mode qui utilisèrent la photographie de manière indirecte. Les photos étaient confiées à des graveurs qui les recopiaient pour les insérer ensuite dans la mise en page avec le texte. Ces gravures étaient très souvent des planches en couleurs reprenant avec soin tous les détails de la toilette mise en valeur. La photographie permettait d'éviter au modèle, généralement une cliente fortunée, de longues séances de pose pour l'artisan graveur. Les débuts : le pictorialisme On peut dire que la photographie de mode débute réellement en 1886 grâce au perfectionnement de la similigravure et à l'héliogravure qui permettent enfin une reproduction directe des photos, de qualité et à un coût abordable pour les éditeurs, sur une même page que du texte. Le premier exemple paraît en 1892 dans "La mode pratique" qui reprend l'usage en cours qui veut que les revues présentent au moins une page en couleurs. Certaines planches sont alors coloriées à la main sur chaque exemplaire de la revue. [...] [...] Le modernisme Steichen avait fait en 1911 une série de photo de mode pour Art et Décoration, revue française, dans un style pictorialiste proche de celui de de Meyer. Photographe et peintre passionné par les modernes (Rodin, Matisse, Cézanne et Picasso) il avait organisé la première exposition de Matisse et Rodin à la Galerie 291 de Stieglitz à New York en 1908. C'est par ses amis de l'avant-garde qu'il a rencontré Paul Poiret qui est le premier, avec Madeleine Vionnet, à avoir libéré la femme du corset en 1906. Les années 1910 voient le triomphe des Ballets russes et mettent l'orientalisme à la mode, 1925 et l'Exposition internationale des Arts décoratifs et industriels modernes de Paris consacrent ce qu'on appellera dès lors le style Art-Déco. Après la guerre de 14-18, l'image de la femme moderne dans les revues, qui s'adressent encore à une classe sociale aisée, se libère des entraves de la mode du XIXe siècle qui prévalait encore largement jusqu'alors. Les femmes ont largement remplacé aux champs ou dans les usines et les bureaux les hommes envoyés au front, elles ont adapté leurs tenues à ce nouveau mode de vie, et les créateurs ont suivi en imaginant une mode aux lignes plus conformes à la vie moderne. Steichen remplace de Meyer chez Harper's Bazaar et impose très vite, en une année à peine, son style Art-Déco qui gagnera également Vogue. La femme vue par Steichen est élégante sans romantisme et féminine sans sentimentalité. Il rejette les décors de meubles et de fleurs rococo de de Meyer pour une sobre élégance, des fonds simples, quelques colonnes... Le style "tout blanc" fait également son apparition après le Grand Bal blanc de Paris en 1932. L'influence de Steichen est omniprésente, aussi bien en France qu'aux USA, dans une interview de 1971 Horst P. Horst raconte que la direction de Vogue demande à tous ses photographes de "travailler dans le style de Steichen." [...] Dès 1925 George Hoyningen-Huene est photographe pour Vogue France. Inspiré d'abord par Horst P. Horst, Hoyningen-Huene et Martin Munkacsi marquent la fin définitive du style romantique d'un autre âge du baron de Meyer et de ses suiveurs. Le réalisme En 1933, Martin Munkacsi, ancien photographe sportif hongrois, travaille pour Harper's Bazaar et garde de son expérience antérieure le goût des prises de vue en extérieur et du mouvement. Ses photos ont des allures d'instantanés et rivalisent avec le travail en studio qui est alors la règle. Son style devient rapidement à la mode et il remplace le baron de Meyer que Carmel Snow, la directrice de Harper's Bazaar, vient de licencier. Elle engage en même temps Alexey Brodovitch, un dessinateur russe, comme nouveau directeur artistique. Brodovitch sera à la photo de mode ce que fut Stieglitz à la photographie en général au tournant du siècle : le catalyseur des nouvelles idées picturales. Il marquera toute une génération de photographes par son enseignement, Richard Avedon, Irving Penn, Hiro, Art Kane, Ralph Gibson, Bruce Davidson et bien d'autres, montrant que le processus créatif ne saurait être autre chose que l'exploration la plus poussée de ce qu'il y a d'unique dans la vision de chacun. C'est lui qui amena Bill Brandt, mais aussi Cocteau, Dali, Dufy ou Marc Chagall à collaborer avec Harper's Bazaar, et il provoqua une véritable révolution dans l'art graphique américain. Munkacsi fait courir son modèle sur une plage dans une photo restée célèbre pour pouvoir Les années 30, surréalisme et fantastique Paris, à la fin des années 20 et dans les années 30 est la capitale occidentale de la culture et de la mode. Alors que les USA connaissent la dépression, la France est encore un pays riche, avec une économie largement agricole et saine et un empire colonial intact. Les créateurs de mode collaborent avec des artistes reconnus, c'est l'époque de Montparnasse, de Picasso, Dali, Cocteau... Les riches Parisiens étalent leur luxe et leur extravagance. Après les années de gène et de médiocrité qui ont suivi la guerre de 14-18, on connaîtra 10 années d'hédonisme élégant et aristocratique. Man Ray, amené à la mode par Paul Poiret et encouragé par Carmel Snow et Brodovitch applique ses expérimentations techniques à la photo de mode. Il ne s'intéressait guère à la mode ni à informer le public sur les modèles présentés, c'était plus pour lui une occasion de s'exprimer en bénéficiant d'un budget pour la réalisation de décors, ce qui lui a permis par exemple de commander des bas-reliefs à Giacometti pour une série de prises de vues. [...] Il place ses modèles dans des situations inattendues, comme pour sa série sur la Tour Eiffel pour laquelle le modèle ne devait pas avoir froid aux yeux, penchée au-dessus du vide et déployant sa robe au vent. La seconde guerre mondiale et les années 50 Vogue France ferme son studio en 1940, à l'arrivée des Allemands. C'est le signal d'une remise en question morale de la photo de mode, considérée comme frivole, superflue, image d'un luxe et d'une futilité qui ne sont plus de mise en cette période de souffrances pour les peuples. C'est désormais un genre "non sérieux." La réduction des moyens, détournés principalement vers l'effort de guerre, se fera également sentir, même aux Etats-Unis. [...] La situation aux Etats-Unis est évidemment différente même si l'on doit faire quelques économies : New-York n'est pas menacée de bombardement. C'est ainsi que les photographes abandonnent souvent le format 20x25 pour le 6x6. Et après la guerre, alors que l'Europe doit se reconstruire, même si les maisons de couture rouvrent leurs portes à Paris comme à Londres, le centre de gravité de la mode, et de sa photographie, se trouve maintenant en Amérique. Dans les arts en général, comme dans la mode, Paris cède la place à New-York. C'est là que se trouve l'argent. Il ne faut pas perdre de vue que, jusque dans les années 60, la photo de mode s'intéresse principalement à la haute couture, et donc à une clientèle riche. Ce n'est que plus tard que l'on verra apparaître une photographie originale consacrée au prêt-à-porter de grande série. La création aux USA a été enrichie, aussi bien en photo qu'en haute couture, par l'arrivée des Européens qui ont fui pour des raisons diverses, Juifs, opposants aux régimes totalitaires, ou artistes à la recherche d'une sécurité économique. De nouveaux noms apparaissent dans le monde de la photo de mode. À peu près en même temps que celle d'Avedon débute la carrière d'Irving Penn, mais dans un style très différent. Si Avedon saisit le mouvement dans son instant le plus expressif, Irving Penn est le photographe de la monumentalité et de la clarté formelle. L'apparente simplicité de ses images ne doit pas tromper, il y a chaque fois une grande complexité dans l'agencement des formes, l'élégance de la silhouette, le jeu abstrait des lignes et des volumes, même si la description du vêtement est souvent confuse. Alors qu'Avedon décrit assez bien le modèle malgré la prise de vue en mouvement, Penn l'utilise parfois comme prétexte à la réalisation d'une image indépendante de sa fonction publicitaire. Il travaille sur le pouvoir d'évocation plutôt que sur la description pour faire vendre la toilette en question. Il exploite à merveille les possibilités du noir et blanc, les contrastes violents comme les nuances de gris. Sa connaissance de l'histoire de la peinture a nourri son imagination, et on peut en voir l'illustration dans certaines photos qui sont des références directes à l'un ou l'autre chef-d'oeuvre de l'histoire de l'art. Les modèles de Penn sont séduisantes, élégantes et conscientes de leur féminité, mais on ne trouve pas encore dans ses images l'érotisme qui apparaîtra dans la photographie de mode des années 70 et suivantes. Penn et Avedon ont fortement marqué le genre et été longtemps imités, ils ont l'un et l'autre continué à innover et expérimenter durant toute leur carrière. Les années 60 L'élégance et la sobriété d'après-guerre font progressivement place à des thèmes plus exotiques et plus variés. La société évolue, le prêt-à-porter gagne en importance et la haute couture même subit les influences de différents mouvements sociaux ou événements extérieurs comme les revendications féministes, le Pop Art, le programme spatial ou le style de rue. Les années 60 sont des années de contestation et de manifestations. Manifestations contre la guerre du Vietnam, pour les droits des minorités, "révolution" sexuelle, Mai 68, assassinats politiques de John Kennedy et Martin Luther King, remise en cause générale du patriarcat en Occident, sont autant de mouvements qui agitent la société et dont la mode et sa représentation se feront l'écho. On crée des modèles invraisemblables, pratiquement importables, des robes en métal ou agrémentées d'ampoules électriques fonctionnant sur batteries, des modèles expérimentaux destinés à rompre les habitudes, à offrir au corps de nouveaux modes d'expression. La photo de mode elle aussi, par ses excès et sans équivoque, exprime le rejet des normes établies et notamment par le choix de modèles au physique spectaculaire comme Véruschka, une blonde de 1,9 m, Twiggy à la maigreur impressionnante (pour l'époque) ou Donya Luna, une noire exotique à l'extrême. [...] À New York, Penn et Avedon continuent cependant à attirer de jeunes photographes. Hiro, arrivé en 1954, combine la monumentalité de Penn et l'intimité de Avedon dont, il a été un temps l'assistant, dans un style très personnel : simplicité classique alliée à un cadre ou un point de vue inattendu. Il donne une signification contemporaine à ses photos, au-delà de la description de l'objet. La photographie des années 60 est excessive aussi bien par ses images choc que par les budgets mis en jeux si bien que les annonceurs, les créateurs et le public s'en lassèrent. Elle eût sans doute son utilité en cassant les anciennes règles et en dénonçant involontairement l'absurdité de certains modèles importables. Les années 70 New York perd de sa vitalité et de son pouvoir d'attraction au cours des années 70. L'édition C'est l'édition française de Vogue qui redevient la plus créative avec des photographes comme Guy Bourdin et Helmut Newton ou Sarah Moon, même si c'est New York qui découvrit Deborah Turbeville. Dix ans plus tôt, Avedon avait introduit la nudité et un érotisme suggéré, sous-jacent, dans sa photographie. Cela n'avait plus le même impact dans les années 70, ni la même subtilité. Le rêve et l'enchantement n'eurent plus guère leur place dans la photo de mode. Les images deviennent plus choquantes pour attirer l'attention, faisant appel à des provocations sexuelles : situations suggérant l'homosexualité, le voyeurisme, le viol ou le meurtre. C'est très visible chez Guy Bourdin. Ces scènes de violence ne se trouvent pas uniquement dans la photographie de mode, elles font partie d'un climat général de la photographie et du cinéma (Bonnie and Clyde en 1967, La horde sauvage en 1969, par exemple). La violence-spectacle est entrée dans la vie quotidienne, et donc aussi dans la photo de mode. Mais cela n'enlève rien à la qualité des images produites. Guy Bourdin est un maître du genre par la rigueur de sa composition et la perfection technique de ses photos. Il réalise, peut-être sans le savoir, un phantasme de Cecil Beaton qui disait en avril 1938 : " Au lieu de photographier en studio une femme en costume de sport, ce serait magnifique de prendre cette même femme, dans le même vêtement, parmi les débris d'une voiture accidentée, avec du sang partout et de petits bouts de ferraille ici et là. Mais, naturellement, ce ne serait pas accepté. " (Cecil Beaton, I am gorged with glamour photography in Popular Photography, avril 1938.) Helmut Newton met en scène des situations qui mêlent argent, sexe et mode dans une Sarah Moon va aussi impressionner le monde de la mode par l'ambiance étrange de ses images. Dans un style à l'opposé des Bourdin et Newton avec un flou qui fut la marque de Steichen et de de Meyer au début du siècle. Elle crée ainsi un monde vaporeux, intime, irréel, une sorte de rêve éveillé. Elle offre un contrepoids reposant et salutaire à la violence et à l'érotisme de ses confrères alors que Deborah Turbeville, à New York, se démarque également de la violence dans ses photos de groupe, comme dans la série Bains publics, où chacune semble enfermée dans sa solitude dans une attitude d'un mol abandon. On a dit que ces photos reflètent l'effondrement psychologique du monde moderne. La pose un peu avachie des modèles est une des caractéristiques du style de Deborah Turbeville. Le monde d'Irving Penn semble bien lointain quand on voit ces photos, et pourtant une vingtaine d'années seulement les sépare. Mais la société a complètement changé entretemps, et l'enthousiasme et l'insouciance des années 50 font place au désenchantement et à l'inquiétude qui préfigurent le pessimisme des années 90 et suivantes. [...] Présenté au Photo-Club le 13 juin 2013
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